La situation politique tendue a entraîné des arrestations arbitraires de salariés, dans un contexte où le dialogue social peine à exister. La Confédération syndicale Espoir se bat pour la protection des droits des travailleurs et pour faire tomber un accord, signé entre le gouvernement et les principaux syndicats, qui prive ces derniers de leur moyen de pression le plus fondamental : le droit de grève.
Avec près de 90% des voix, Alassane Ouattara a été réélu pour un quatrième mandat à la tête de la Côte d'Ivoire le 25 octobre. Seule la moitié des citoyens s'était cependant déplacée pour voter à cette élection présidentielle, où les principaux opposants avaient été exclus du processus. Pour les salariés ivoiriens, les jours précédant le scrutin ont été synonymes d'arrestations arbitraires avec parfois de lourdes conséquences sur leur emploi.
Deux semaines avant l'élection, le gouvernement a mis en place un dispositif sécuritaire impressionnant, qui a été marqué par de forts abus envers les travailleurs
, dénonce Pacôme Attaby, président de la Confédération syndicale Espoir (CSE), une organisation alliée de FO. En marge de manifestations, des rafles systématiques ont été opérées par les policiers lorsqu'ils ciblaient une zone, une rue à grand trafic, . Alors que parmi ces citoyens, il y avait des travailleurs allant au travail ou en revenant.
Un appel au devoir de vigilance des entreprises
Après des jours de garde à vue – et donc d'absence peu justifiable aux yeux des employeurs –, plusieurs salariés se sont retrouvés dans l'embarras. Un travailleur de l'entreprise chocolatière Cémoi, dont la maison-mère est française, a même vu sa détention de trois jours lui coûter son travail, rapporte Pacôme Attaby. À sa libération, lorsqu'il s'est rendu dans son entreprise, le DRH l'a licencié sans lui donner la possibilité de s'expliquer, après 16 ans de service. 205 000 francs CFA lui ont été remis pour solde de tout compte.
La Confédération syndicale Espoir invoque le devoir de vigilance de Cémoi France. Nous appelons la maison-mère à être plus regardante des abus quotidiens que l'on observe à Cémoi Côte d'Ivoire, Ce licenciement est extrêmement grave pour une entreprise française.
Sans réaction du groupe pour protéger leurs droits, les travailleurs vont s'exprimer d'une manière qui ne garantira pas la paix sociale
, prévient-il.
Un pacte de non-agression bien encombrant
Au-delà de l'exemple de Cémoi, à l'échelle du pays, la situation n'est pas propice à la fécondité du dialogue social
, euphémise le président de la CSE. La jeune organisation syndicale, fondée en 2024, fait face à des défis de taille pour briser le statu quo qui règne entre les autres syndicats et le gouvernement. À l'été 2022, les principales centrales syndicales d'alors ont accepté de signer avec l'exécutif un accord leur liant les mains. Ce pacte de non-agression prévoyait que les syndicats ne manifesteraient pas, ne revendiqueraient pas, n'organiseraient pas de grève ni de blocage du pays pendant 5 ans, en contrepartie de l'ouverture de discussions potentielles sur des sujets pas prédéterminés
, se souvient Branislav Rugani, secrétaire confédéral FO en charge du secteur international-Europe.
Pour marquer leur désaccord avec ce pacte, plusieurs fédérations syndicales ivoiriennes ont quitté leur centrale en 2024 pour former la CSE, qui s'est alors tournée vers FO pour s'inspirer de ses statuts. Nous, la CSE, nous ne reconnaissons pas ce protocole et sommes libres de faire grève, Nous sommes d'ailleurs à l'initiative d'une grève dans l'enseignement qui a secoué le milieu en 2024-2025.
Au printemps 2025, une vague de répression s'est abattue sur les militants et fonctionnaires impliqués. Le syndicaliste Ghislain Assy Dugarry a été arrêté de nuit à son domicile en présence de sa famille, et condamné à deux ans de prison pour «coalition d'agents publics» et «entrave au fonctionnement du service public». Il a été mis en liberté provisoire, rapporte Pacôme Attaby. Il n'est donc pas en prison aujourd'hui, mais une épée de Damoclès plane au-dessus de sa tête en raison de son engagement syndical.
La CSE a saisi les instances de dialogue social de la Côte d'Ivoire et monte un dossier pour saisir le Comité de la liberté syndicale de l'Organisation internationale du travail (OIT).
Assainir le dialogue social
Prochain objectif pour la centrale syndicale ivoirienne : Nous allons assainir le dialogue social et la négociation collective, en écartant le protocole d'accord signé en août 2022
, expose Pacôme Attaby. Le texte expire en août 2027. Donc le défi, c'est de faire en sorte qu'il ne soit pas reconduit. Il faut que nous soyons suffisamment représentatifs pour empêcher cela.
À partir de là, de nombreux chantiers d'ampleur s'ouvriraient. Dans un pays où le salaire minimum est de 75 000 francs CFA (114 euros), l'emploi informel est massif. Il y a de la richesse en Côte d'Ivoire, malheureusement elle est tenue par une clique et la masse des travailleurs est sous-payée
, déplore le président de la CSE. Les licenciements abusifs d'ouvriers et d'employés peu qualifiés sont monnaie courante, et la protection sociale des salariés est minimale.
Un Code du travail protège en théorie les droits des travailleurs. Malheureusement, les inspecteurs du travail chargés de garantir son application sont les plus corrompus par les chefs d'entreprises, Donc généralement, lorsqu'un travailleur se retrouve devant un inspecteur du travail pour s'opposer à son administration, c'est l'administration qui gagne, car des pots-de-vin passent sous la table.
Une raison de plus pour les fédérations ivoiriennes de lutter pour retrouver leur place dans le rapport de force entre employeurs, gouvernement et salariés.