On connaît davantage le père, Laksluni Mittal, mais c'est avec le fils, Aditya Mittal, 44 ans, président d'ArcelorMittal, que s'écrit l'avenir de l'empire de l'acier et du plus gros sidérurgiste mondial. Les deux hommes entretiennent des relations quasi fusionnelles. « On travaille en grande proximité depuis vingt-deux ans ; on s'entend bien même quand on a des différences de vues », déclare au JDD l'héritier, dont la France fut le premier totem industriel avec l'OPA réussie sur Arcelor en 2006. Le groupe emploie plus de 100 000 personnes en Europe, dont 15 000 en France sur huit sites, et a réalisé l'an dernier un chiffre d'affaires de 60 milliards d'euros. L'acier d'une voiture sur deux qui circule en Europe et de 70 % des Tesla sort de ses hauts-fourneaux.
Comment avez-vous traversé cette année de crise sanitaire mondiale ?
Ça a été une année très difficile pour ArcelorMittal. Notre priorité numéro un a été de protéger nos salariés, et je suis heureux des actions mises en œuvre dans le groupe. Nous avons une culture de sécurité très poussée qui a fait ses preuves durant la pandémie. En parallèle, la chute très sensible de la demande d'acier nous a contraints à réduire notre production au deuxième trimestre. La demande s'est normalisée depuis, notamment dans l'automobile. Mais nous ne sommes pas revenus aux niveaux de l'an dernier. Dans les pays développés, elle est en baisse de 8 à 10 %, seule la Chine est repassée en positif.
Allez-vous fermer des sites ou supprimer des postes en France ?
Pendant la crise, nous avons dû arrêter des hauts-fourneaux. Nous en exploitons maintenant quatre sur cinq, dont deux à Dunkerque et deux à Fos-sur-Mer. Les mesures d'urgence nous ont aidés à amortir nos coûts et à accompagner les salariés placés en activité partielle. Aujourd'hui, nous n'envisageons pas de réductions d'effectifs. Nous avons pour principe de former nos salariés pour leur apporter de nouvelles compétences, notamment en matière numérique, afin de rester compétitifs. C'est indispensable car nous évoluons dans un environnement très concurrentiel et sur un marché mondial qui produit trop d'acier.
Le pays de Florange reste-t-il un pays qui compte pour ArcelorMittal ?
Florange a été un sujet très médiatique et très émotionnel. Mais nous y avons beaucoup investi et sans licencier. Aujourd'hui, c'est un site hautement technologique. La France a démontré sa volonté de conjuguer protection de l'environnement et compétitivité industrielle. C'est aussi un pays qui reconnaît l'importance et la valeur de l'industrie, et c'est très important pour nous.
<< La France est un pays qui reconnaît l'importance de l'industrie>>
Vous avez enfin pris l'engagement de verdir votre production.
C'est une perspective qui m'enthousiasme. Depuis dix ans, nous avons investi près de 300 millions d'euros en R&D, et nos 2 400 chercheurs travaillent pour améliorer nos technologies et nos savoir-faire. Dans le secteur automobile, nos clients estiment déjà que nous sommes le groupe sidérurgique le plus innovant. En tant que leader européen, nous voulons jouer un rôle majeur dans la décarbonation de l'industrie. En Europe, nous voulons réduire notre empreinte carbone de 30 % d'ici à 2030 et atteindre la neutralité en 2050 à l'échelle du groupe.
Comment ?
Notre stratégie va s'articuler autour de deux grandes voies technologiques. Le « carbone intelligent » - Smart Carbon, qui utilise la biomasse comme source d'énergie propre ainsi que les technologies de capture et de stockage du carbone. Et la fabrication d'acier utilisant de l'hydrogène pour réduire le minerai de fer.
Qui va financer cette transition dont vous chiffrez le coût global entre 14 et 40 milliards d’euros ?
Il faut replacer ces chiffres dans leur contexte. Entre 2008 et 2015, le secteur européen de l'électricité a reçu 280 milliards d'euros de subventions publiques. Nous, nous avons besoin de moins de capitaux globalement et par tonne de CO2 émise en moins. Mais pour financer nos investissements, nous avons besoin du soutien des organismes publics en France et au niveau de l'Union européenne. Il nous faut une combinaison de dispositifs, comme par exemple des mécanismes qui compenseraient les surcoûts d'exploitation induits par les projets de décarbonation. Cela pourrait aussi se matérialiser, comme nous l'avons vu dans le secteur de l'énergie, par une taxe supplémentaire qui est ensuite reversée aux producteurs d'énergie pour financer le passage au renouvelable. Mais pour que nos futures tonnes d'acier vertes restent compétitives, il faut surtout que l'Europe fixe des conditions pour bloquer l'entrée dans l'UE d'un excès d'acier moins vertueux et moins cher venant d'autres pays.
L'Europe est-elle à la hauteur des enjeux pour protéger votre secteur ?
Elle peut faire, mieux pour nous protéger. Les importations ont progressé de 80 % quand la production a baissé de 14 %. C'est intenable pour nous. Dans le même temps, aux États-Unis, la production augmente année après année parce que les mécanismes de protection commerciale mis en place sont beaucoup plus efficaces, et il n'y pas de raison que ça change avec le président Joe Biden. Les mesures de sauvegarde européennes qui fixent des quotas d'importation expirent l'an prochain. En plus, nous sommes soumis à une taxe carbone sur l'acier que nous produisons en Europe tandis que nos concurrents hors Europe - les Chinois, les Turcs et les Russes - échappent à ce surcoût.
Que faut-il faire ?
Nous devons pouvoir jouer à armes égales face à eux. La négociation sur l'ajustement des prix de l'acier aux frontières de l'UE incluant le coût du carbone n'a pas encore abouti, même si elle semble sur de meilleurs rails qu'il y a un an. Mais la Chine n'a toujours pas réduit sa production et elle continue indirectement d'inonder le marché mondial. Elle exporte certes moins vers l'Europe, mais vers d'autres pays qui, eux, exportent vers l'UE. C'est là que le bât blesse.
L'acier n'est-il pas dépassé face aux nouveaux besoins industriels ?
C'est déjà un métal qui contient moins de carbone que d'autres matériaux et qui est indéfiniment recyclable. Vous avez remarqué que la ferraille n'encombre pas les océans ou l'estomac des poissons. Nous restons totalement pertinents pour nos clients. L'acier qui sort de nos usines aujourd'hui n'a plus rien à voir avec celui des années 2000. Nous lançons sans cesse de nouveaux produits pour répondre aux attentes des géants du BTP, des constructeurs de voitures électriques tout comme des fabricants d'éoliennes et de panneaux solaires.
Source: Journal du dimanche