Quelque deux cents délégués FO ont participé, le 11 décembre à Gennevilliers, à un meeting des métiers de la propreté organisé par la fédération FEETS-FO et en présence du secrétaire général de la confédération, Frédéric Souillot. Six ans après l'apparition du premier cas de Covid en Chine, suivie du premier confinement en France, la fédération et le syndicat FO-IDF Propreté et manutention ferroviaire ont souhaité redonner toute leur place à ces salariés qui, après avoir été déclarés travailleurs essentiels le temps de la pandémie, sont vite retournés dans l'ombre, sans la revalorisation – notamment salariale – promise à l'époque par les pouvoirs publics. Les conditions de travail difficiles, les passations de marché au candidat le moins offrant et les effets de la circulaire «Retailleau» sur la régularisation des travailleurs étrangers ont été au cœur des interventions des militants lors de ce meeting.
Derrière chaque chambre impeccable se cache un travail physique extrêmement exigeant : porter des charges lourdes, pousser des chariots, soulever des matelas, se pencher, s'agenouiller. Et répéter les mêmes gestes plusieurs dizaines de fois par jour. Ces efforts entraînent de réelles conséquences sur la santé : douleurs lombaires, tendinites, fatigue chronique, troubles musculo-squelettiques. À cette dureté physique s'ajoute la pression du temps. Les femmes de chambre doivent nettoyer un nombre très important de chambres en un temps limité, avec une exigence d'impeccabilité permanente. Cette cadence effrénée crée stress, tension et une charge nerveuse considérable. […] Elles assurent chaque jour l'image et la réputation de l'établissement, mais restent pourtant parmi les travailleuses les moins valorisées.
En quelques phrases, Thérèse Pidi, déléguée centrale FO chez Luxury Cleaning Service, a résumé les difficultés rencontrées par les salariés du secteur de la propreté, bien au-delà des seules femmes de chambre en hôtellerie.
La militante intervenait dans le cadre du meeting des métiers de la propreté, organisé par la fédération FEETS-FO le 11 décembre au siège de Upcoop à Gennevilliers, et qui a rassemblé quelque deux cents délégués FO. La date n'a pas été choisie au hasard. Elle tombait six ans après l'apparition du premier cas de Covid à Wuhan, en Chine, qui fut suivie du premier confinement en France. Quand la pandémie a frappé, les invisibles sont devenus visibles. On a réalisé qu'on avait un besoin indispensable de ces salariés appelés les travailleurs essentiels
, a rappelé Zaïnil Nizaraly, secrétaire général de la FEETS-FO. Mais très vite, les salariés de la propreté ont été renvoyés dans l'ombre, et les revalorisations promises ne sont jamais arrivées. Le meeting est né de cette colère, pour redonner toute leur place aux salariés de la propreté
, a poursuivi Zaïnil Nizaraly, saluant l'initiative de Malamine Ndiaye, secrétaire général du syndicat FO-IDF Propreté et manutention ferroviaire.
650 000 salariés dans la branche
Le secteur de la propreté regroupe 650 000 salariés, en majorité des femmes, qui interviennent dans les écoles, les bureaux, les transports, les hôpitaux, les centrales nucléaires… Un tiers d'entre eux travaillent en Île-de-France.
L'une des principales revendications portées par FO soutient le refus du temps partiel subi, imposé à une majorité de salariés. Ce sont des horaires morcelés et décalés, souvent tôt le matin et tard le soir. Le temps partiel subi crée de la précarité, empêche de vivre dignement de son travail et instaure une invisibilité sociale. Combien de salariés cumulent plusieurs contrats sur plusieurs sites, avec plusieurs employeurs, simplement pour atteindre un revenu décent?
, a dénoncé Jocelyne Martin, des Côtes-d'Armor.
Outre les difficultés d'organisation pour concilier ces différents contrats entre eux et avec la vie personnelle, ces horaires de travail créent un isolement des salariés dont le temps libre, en milieu de journée, ne peut pas être partagé avec les proches. Et comme leur travail n'est pas vu, il n'est pas considéré
, a dénoncé Nadia Jacquot, secrétaire fédérale chargée de la propreté à la FEETS-FO.
Pour améliorer la visibilité des salariés de la propreté, et par conséquent leurs conditions de travail et leur reconnaissance, FO revendique de longue date le travail en journée. C'est possible de s'organiser autrement. Le travail en journée est devenu la norme dans les entreprises en Suède et dans les bâtiments administratifs de l'agglomération nantaise et à Rennes
, a rappelé Nadia Jacquot, qui voit dans cette organisation la seule solution pérenne pour combattre l'amplitude extrême de la journée et la multiplication des temps partiels
.
Le travail en journée fait aussi l'objet d'une campagne menée par Uni Europa, l'Union européenne des travailleurs des services. «On estime que le nettoyage pendant la journée peut être proposé par le donneur d'ordre pour faire changer les choses immédiatement, sans nécessité de passer par une loi ou une directive européenne», a expliqué Mark Bergfeld, responsable du nettoyage chez Uni Europa. Travailler la journée permettra aussi, pour les salariés, de mieux concilier travail et vie familiale. Souvent les femmes n'ont pas la possibilité d'aller chercher leurs enfants à l'école, de manger avec eux, de les aider pour les devoirs
, a-t-il rappelé.
Externalisation croissante des activités de nettoyage
La précarité rencontrée par les salariés de la propreté est également liée au modèle économique du secteur, qui repose souvent sur un système de sous-traitance, basé sur des passations de marchés par appel d'offres. Or, indique Zaïnil Nizaraly, 98% du prix de la prestation concerne la masse salariale. Pour augmenter les bénéfices, il faut donc baisser la masse salariale.
Le problème, c'est que le marché est attribué au prestataire le moins cher et les entreprises se font concurrence entre elles. La dureté du marché, la politique du moins-disant et l'accroissement des marges conduisent les entreprises à baisser constamment les coûts et donc à augmenter considérablement la charge de travail et la précarité des salariés. Il faut une régulation du marché, surtout dans le public
, a lancé Nadia Jacquot.
Au niveau européen, Uni Europa demande également de nouvelles règles pour gérer les marchés publics, alors qu'actuellement 70% des marchés sont remportés par l'entreprise la moins chère. À la fin de chaque contrat, les salariés sont dans l'insécurité car ils savent que le prix va être encore plus bas et qu'on va leur en demander plus
, a expliqué Mark Bergfeld.
Cette organisation a des conséquences en termes de santé et sécurité au travail. L'Anses, dans une étude publiée en novembre dernier sur les conditions de travail des agents du nettoyage, constate, dans le secteur privé, une externalisation croissante des activités de nettoyage. Entre 1982 et 2020, la part des salariés externalisés est passée de 23% à 65%. Sur la même période, le nombre d'heures dédiées aux tâches de nettoyage s'est réduit, passant de 33 heures à 25 heures hebdomadaires, ce qui aboutit à une intensification des cadences de travail et à une réduction des revenus mensuels. À cela s'ajoute une exposition des salariés à de nombreux risques pour la santé, comme les efforts physiques, les produits chimiques, les agents biologiques…
Deux fois plus de licenciements pour inaptitude
Selon cette étude, les accidents du travail et le taux de maladies professionnelles reconnues sont plus fréquents et d'une gravité plus importante dans la filière du nettoyage que dans tous les autres secteurs. Les maladies professionnelles sont principalement des troubles musculo-squelettiques, près de deux fois plus fréquents que chez l'ensemble des salariés en France. Les licenciements pour inaptitude sont également deux fois plus fréquents.
Pour François-Xavier Manginot, responsable qualité et sécurité chez Atalian, la problématique ne vient pas forcément du prestataire qui emploie le salarié mais de l'entreprise donneuse d'ordre, qui ne donne pas les moyens de travailler en sécurité
. Aujourd'hui, la majorité des accidents sont des chutes de plain-pied qui auraient pu être évitées car elles sont dues au manque de temps. Comme dans la branche de l'intérim, il faut responsabiliser les donneurs d'ordre en cas d'accident du travail
, estime-t-il.
Lors des passations de marchés, en application de l'article 7 de la convention collective, le nouveau prestataire est tenu de reprendre les salariés ainsi que leurs acquis. Mais certains employeurs tentent au passage de rogner les droits des salariés. C'est encore arrivé en octobre dernier sur un chantier de TotalEnergies, repris par Onet. Sur ce site, les salariés, qui avaient travaillé durant vingt ans pour Samsic, avaient obtenu des acquis sociaux.
L'objectif de la direction était de regrouper l'ensemble de ces acquis sur une ligne globale dans l'avenant au contrat de travail établi dans le cadre du transfert. Ce qui était un droit acquis et solide allait devenir quelque chose de moins clair, de moins sûr, plus facile à remettre en cause plus tard
, a dénoncé Olivier Monneron, DSC FO chez Onet. La mobilisation des salariés, des élus FO et du syndicat FO-IDF Propreté et manutention ferroviaire a fait reculer la direction. Les salariés ont conservé tous leurs acquis, clairement écrits sur leur contrat de travail
, s'est félicité le militant.
Par la négociation et la signature d'accords, la fédération tend à limiter les méfaits de la sous-traitance. Mais elle revendique la transformation du travail pour le rendre plus soutenable, en réduisant les cadences, en imposant des clauses sociales dans les appels d'offres, en améliorant les rémunérations et en remettant en cause l'organisation sociale qui pousse à externaliser ces fonctions, comme l'a rappelé Nadia Jacquot.
28% de représentativité pour FO dans la branche
Forte de ses victoires et de ses combats, l'organisation se développe dans le secteur de la propreté. Le taux de représentativité de FO dans la branche est ainsi de 28%, contre 15% il y a quelques années. FO est aussi devenue la deuxième organisation dans la manutention ferroviaire.
Il y a quelques années, parler de FO-Propreté c'était raconter une histoire drôle. Aujourd'hui, FO est devenu le premier syndicat dans la majorité des entreprises du secteur
, s'est félicité Najib Mouchtahi, de la manutention ferroviaire en Île-de-France. Ainsi, FO a remporté 35% des voix chez Atalian (plus de 70 000 salariés), 31% chez Isor (7 650 salariés), 45% chez Arc-en-ciel (6 000 salariés), 47% chez Guilbert propreté (3 600 salariés), 46% chez Sodexo, 40% chez Elior. Il a aussi progressé chez Samsic, Onet, GSF, Challancin... C'est le résultat de votre engagement, de votre courage et de votre travail de terrain. Dans le secteur de la propreté, 99% des élections se font par correspondance en raison de la dispersion des sites. Les bulletins n'arrivent pas comme ça dans les urnes, il faut quasiment aller les chercher
, a-t-il souligné.
Le nouveau cycle de représentativité a démarré en janvier 2025. Chaque voix compte. Il faut négocier tous les PAP et faire fonctionner notre réseau au sein de FO pour faire nos listes et faire adhérer les camarades
, a encouragé Nadia Jacquot. Elle a appelé les salariés de la propreté à voter dans leur entreprise et non chez le prestataire, pour faire valoir leurs droits. Malamine Ndiaye, secrétaire général du syndicat IDF Propreté et manutention ferroviaire, a aussi encouragé les délégués à aller se faire connaître dans les UD et les UL, pour favoriser l'implantation de syndicats locaux.
Plus vous vous développerez, plus on les fera reculer et plus vous gagnerez. Les travailleurs essentiels c'est vous!
, a lancé le secrétaire général de la confédération, Frédéric Souillot, en promettant, la prochaine fois qu'il rencontrerait le Premier ministre, de mettre la situation des salariés de la propreté sur la table.
FO en soutien aux salariés étrangers menacés par le durcissement des règles migratoires
La loi Immigration du 26 janvier 2024 et la circulaire «Retailleau» du 23 janvier 2025 ont durci les règles d'attribution des titres de séjour et de régularisation par le travail pour les salariés étrangers. Au 1er janvier 2026 ils devront notamment justifier d'une bonne maîtrise de la langue française, à l'écrit comme à l'oral (diplôme A2). Le secteur de la propreté, où les travailleurs étrangers sont nombreux, est particulièrement concerné. Pour aider les salariés dans leurs démarches, la FEETS-FO vient d'actualiser son guide du droit des étrangers, une réponse concrète au danger
qui menace, a prévenu Zaïnil Nizaraly, secrétaire général de la FEETS-FO.
Nadia Jacquot, secrétaire fédérale chargée de la propreté à la fédération, redoute que certains salariés, en France depuis trente ans, aient des difficultés à renouveler leurs papiers faute d'un niveau de langue suffisant. Dans ce contexte, la formation est primordiale. Dans le secteur de la propreté, des dizaines de milliers de travailleurs risquent, au 1er janvier 2026, d'être foutus dans la clandestinité
, a alerté Jean Hédou, ancien secrétaire général de la FEETS-FO et actuel président d'Akto, l'organisme chargé de la formation professionnelle dans la branche. Plus d'un million d'euros ont déjà été mobilisés au niveau de la branche pour permettre à des salariés de se former pour avoir ce diplôme A2. La formation professionnelle dispose de 20 millions d'euros de réserves, c'est votre argent, c'est du salaire différé
, a-t-il rappelé.
L'analphabétisme, un frein au quotidien
Abdoulaye Diallo, DSC FO Elior, voit dans cette législation une bombe à partir de 2026
. Les premières demandes de titre de séjour dans le nettoyage sont souvent longues et complexes. Un salarié qui débute son emploi doit attendre des mois pour obtenir le droit de travailler. Pendant ce temps, il est exposé au travail au noir ou à des conditions de travail illégales
, a-t-il alerté. Il a aussi témoigné des difficultés de prendre rendez-vous en préfecture avec un emploi du temps fractionné.
Au-delà des questions de titre de séjour, l'analphabétisme a des conséquences au quotidien. Ne savoir ni lire, ni écrire, c'est un handicap et un frein. Nous, élus, devons aller dénicher ces salariés qui ont honte, qui ont des problèmes pour lire leur fiche de paie ou au niveau des banques, pour qu'ils se forment
, a lancé Yvon Mallonga, secrétaire du CSEC FO Atalian.
La confédération organisera aussi, mi-janvier, une formation à destination des cadres de l'organisation (des UD et fédérations) sur les questions liées à l'emploi et aux droits des salariés étrangers. Face à une législation qui se durcit, encore une fois, les travailleurs migrants vont être pressés, écrasés entre l'entreprise, les marchands d'appels d'offres et l'État. Nous ne les laisserons pas faire. FO soutiendra les salariés en difficulté
, a assuré Frédéric Souillot, secrétaire général de la confédération.


